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https://histoirecoloniale.net/Une-nouvelle-edition-de-Le-17-octobre-des-Algeriens-avec-une-postface-intitulee.html

 

Une nouvelle édition du « 17 octobre des algériens » avec une postface intitulée « de nouvelles révélations »

Samedi 25 Septembre 2021

Le texte de Marcel Péju et de Paulette Péju, « le 17 octobre des algériens », devait paraître à l’été 1962 aux éditions François Maspero mais les pressions conjuguées du pouvoir français et du pouvoir algérien ont fait qu’il a dû attendre 2011 pour être publié aux éditions de la Découverte, présenté et accompagné d’un texte de Gilles Manceron, « la triple occultation d’un massacre », qui aborde les raisons du long silence autour de cet événement. Il est réédité en collection de poche en 2021 et il est complété par une post-face inédite, « de nouvelles révélations », qui fait le point sur les responsabilités dans l’origine du massacre, qui aborde le sort des transportés en Algérie que nous devons prendre en compte dans le bilan des victimes et qui pointe la question du silence de nombreuses familles d’immigrés algériens.

Dans l’édition en 2011 du livre de Marcel Péju et de Paulette Péju que nous venons de lire, le texte qui l’accompagne pointe les mécanismes de la triple occultation de ce massacre, le silence des autorités françaises, la concurrence des mémoires internes à la gauche française et la volonté du pouvoir algérien d’écarter de l’histoire officielle les luttes de l’émigration en France. Mais cette réédition en collection de poche est l’occasion de faire le point sur les avancées opérées depuis dix ans dans la connaissance de cet événement.

Des travaux et des publications ont permis de repérer trois aspects importants qui avaient fait insuffisamment l’objet d’attention et sur lesquels des investigations plus approfondies sont nécessaires. Il y a d’abord le rôle moteur joué par le premier ministre Michel Debré à l’automne 1961 dans la violence exercée contre l’immigration algérienne, dont le 17 octobre 1961 a été l’apogée. Il y a, ensuite, la nécessité de prendre en compte, dans le décompte des victimes, les algériens expulsés de France, supposés dans les déclarations officielles être retournés dans leur douar d’origine, mais en réalité internés en Algérie dans des camps militaires où la mortalité était importante. Enfin, un quatrième facteur d’oubli doit être ajouté à ceux déjà nommés de cette triple occultation, la tendance de nombreuses familles algériennes qui ont continué à vivre en France à hésiter à transmettre le souvenir de cet épisode à leurs enfants.

Le texte dont le titre est « la triple occultation d’un massacre » parle des divisions au sein du gouvernement français face aux négociations d’Évian. Il répond à l’interrogation de Pierre Vidal-Naquet en 2000 qui qualifiait d’énigme le fait que la guerre, avec ce massacre, ait atteint à Paris son pic de violence au moment où chacun savait pourtant qu’elle allait se terminer par l’indépendance de l’Algérie, en expliquant qu’il y avait une réponse à cette énigme. Jean-Luc Einaudi ayant attiré mon attention sur le fait qu’il fallait prendre en compte dans les origines du 17 octobre 1961 les désaccords apparus au sein du gouvernement, notamment celui du premier ministre, Michel Debré, avec la politique algérienne de Charles de Gaulle, j’avais écrit en 2011 que tout indiquait que celui-ci, n’ayant plus aucune prise sur le dossier algérien, mais ayant conservé la responsabilité du maintien de l’ordre en France, avait lancé, pour tenter de peser sur l’avenir des négociations, une guerre à outrance contre la Fédération de France du Front de Libération Nationale (FLN).

La publication en 2017, par sa fille, des notes de Louis Terrenoire, né en 1908 et mort en 1992, l’un des ministres qui soutenaient la politique algérienne de Charles de Gaulle, a confirmé ces présomptions. En tant que ministre de l’information depuis le 5 février 1960, Louis Terrenoire prenait des notes au conseil des ministres et il tenait par ailleurs un journal où il laissait libre cours à ses réflexions. De même que le ministre de la justice, Edmond Michelet, qu’il avait connu lors de leur déportation comme résistants en Allemagne nazie, il partageait le choix de Charles de Gaulle, annoncé au mois de septembre 1959, de mettre fin à la guerre d’Algérie par l’autodétermination des algériens, c’est-à-dire, comme l’a écrit le président du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA), Ferhat Abbas, par la reconnaissance de leur droit à l’indépendance. Un choix qu’il avait précisé le 4 novembre 1960 en parlant d’une république algérienne et, le 11 avril 1961, en disant que cette république algérienne serait un état souverain à l’intérieur et à l’extérieur.

Louis Terrenoire soutenait ce choix et il avait été approuvé par Charles de Gaulle quand il a déclaré le 20 novembre 1960 à Alençon qu’un immense mouvement de décolonisation a commencé à travers l’univers que rien ni personne n’a le pouvoir d’arrêter. Au moment du putsch du mois d’avril 1961, il a écrit qu’on assistait au sursaut d’un colonialisme menacé par l’émancipation d’un peuple dominé. À l’opposé, Michel Debré, assez proche de certains ultras des barricades d’Alger du mois de janvier 1960 puis de certains militaires putschistes du mois d’avril 1961, ne voulait pas d’une reconnaissance de l’indépendance de l’Algérie.

Après l’échec du putsch, l’ouverture des négociations d’Évian annonçait la fin de la guerre. Des militaires français étaient chargés de protéger, pour qu’ils ne soient pas pris pour cible par l’Organisation Armée Secrète (OAS), les délégués du FLN venus discuter sur le territoire français avec des représentants officiels de la France. Mohammed Harbi, qui présidait la commission des experts du GPRA, écrit dans ses Mémoires que « plus que le cessez-le-feu ou la proclamation de l’indépendance, mon arrivée à Genève le 18 mai 1961 fut l’un des plus beaux jours de ma vie. Nous étions arrivés à bon port ». Charles de Gaulle a proclamé le 2 juin 1961 un cessez-le-feu unilatéral d’un mois puis il a décidé, contre l’avis du premier ministre, de le prolonger jusqu’au 2 août 1961.

Ce désaccord de Michel Debré a été aggravé par la décision de Charles de Gaulle d’accepter, le 18 août 1961, la souveraineté algérienne sur le Sahara. Il lui a alors présenté sa démission, qui fut refusée. Charles de Gaulle lui avait retiré au mois de février 1960 la responsabilité du dossier algérien mais, à sa demande, il lui avait confirmé celle du maintien de l’ordre en France. Dans le même temps, aux prises avec l’opposition des partisans de l’Algérie française au sein même de sa majorité parlementaire, puis cible des tentatives d’assassinat de l’OAS, Charles de Gaulle s’était résolu à d’importantes concessions en interne.

Il avait déjà accepté, le 6 mai 1961, à la demande de Michel Debré, de remplacer le ministre de l’intérieur Pierre Chatenet, ancien conseiller de Pierre Mendès-France qui désapprouvait les méthodes de Maurice Papon, par Roger Frey, qui partageait l’hostilité de Michel Debré à l’indépendance algérienne. Le 23 août 1961, il lui a concédé le départ du ministre de la justice, Edmond Michelet.

Edmond Michelet, proche de Témoignage Chrétien, avait obtenu qu’aucune exécution capitale d’algériens n’ait lieu et il avait pris des mesures, avec l’accord de Charles de Gaulle mais désapprouvées par Michel Debré, améliorant les conditions de détention des algériens et laissant le FLN organiser la vie de ses militants dans les camps et les prisons. Michel Debré lui avait écrit au mois de décembre 1959 que « les lieux de détention deviennent des camps de repos et surtout des camps de propagande ». Il avait fait mettre sur écoute les membres du cabinet d’Edmond Michelet et il l’avait obligé à se débarrasser, au printemps 1960, de deux d’entre eux, Joseph Rovan et Gaston Gosselin.

Michel Debré reprochait aussi à Edmond Michelet de protéger Paul Teitgen, qui avait dénoncé la torture et les exécutions sommaires lors de la Bataille d’Alger, de refuser de poursuivre Simone de Beauvoir pour une libre opinion publiée dans le Monde du 2 juin 1960 et de ne pas prendre de sanctions contre Gisèle Halimi pour avoir aussi publié un article scandaleux, ni contre les autres avocats félons qui défendaient les militants du FLN. Louis Terrenoire écrit qu’Edmond Michelet a été limogé et remplacé par un autre ministre de la justice qui prendrait, selon les vœux de Michel Debré, le contre-pied des positions d’Edmond Michelet. Une fois ce départ obtenu, la répression extra judiciaire et les violences que Maurice Papon a été chargé d’orchestrer par le premier ministre Michel Debré ont pu, dès le début du mois de septembre 1961, se donner libre cours.

C’est dans ces conditions qu’il a réuni à Matignon plusieurs conseils de sécurité qui ont mis en œuvre, en s’appuyant sur le ministre de l’intérieur Roger Frey et sur le préfet de police Maurice Papon, une violente répression contre l’émigration algérienne dans la région parisienne, avec l’assurance que les plaintes déposées par les algériens qui en seraient victimes soient enterrées par la justice. Cette campagne fut accompagnée d’une censure croissante de l’information et de la diffusion à la presse de mensonges attribuant les violences à une nouvelle vague de terrorisme décidée par le FLN.

Louis Terrenoire rapporte dans son journal qu’Edmond Michelet lui a dit, le 23 août 1961, que « Michel Debré a eu ma peau ». Il note aussi que Maurice Papon s’est félicité de son départ et qu’il s’est vanté d’y avoir contribué. Le directeur du Monde, Hubert Beuve-Méry, l’a compris, écrivant dans une lettre que Charles de Gaulle avait écarté Edmond Michelet, tout dévoué à ses idées, pour le remplacer par Bernard Chenot, plus docile aux instructions de Michel Debré. Michel Debré avait demandé aussi le départ de Louis Terrenoire, mais Charles de Gaulle l’a conservé en lui enlevant la charge de ministre de l’information tout en le gardant comme ministre délégué et son porte-parole personnel chargé de prendre des notes aux conseils des ministres. C’est ce qui a permis à Louis Terrenoire de porter témoignage pour l’histoire sur la responsabilité directe de Michel Debré dans la répression du 17 octobre 1961.

Dès le départ d’Edmond Michelet, le 23 août 1961, le préfet de police de la Seine, Maurice Papon, a été chargé d’organiser la guerre contre la Fédération de France du FLN et les immigrés algériens qui la soutenaient très majoritairement, en la présentant comme une réponse à une supposée reprise des attentats du FLN. Il a adressé le 5 septembre 1961 une directive demandant de reprendre fermement l’offensive dans tous les secteurs contre celle-ci en raflant les algériens indésirables et en organisant des expulsions massives vers l’Algérie. Il a fait revenir dans Paris la force de police auxiliaire et il en a implanté des unités à Aubervilliers et à Nanterre, d’où elles ont opéré des expéditions meurtrières vers les cafés des environs. Une brigade spéciale a multiplié les raids de nuit dans les bidonvilles, démolissant des maisons et jetant des familles à la rue. Des équipes para-policières, sortes d’escadrons de la mort, ont mitraillé des cafés et des hôtels fréquentés par des algériens, la préfecture de police attribuant cela à des attentats du FLN, informations reproduites telles quelles par la radio publique et dans la presse, y compris dans un quotidien comme le Monde.

À la suite d’un conseil interministériel réuni par Michel Debré le 5 octobre 1961, la préfecture a envoyé un ordre du jour, totalement inconstitutionnel, à tous ses services instaurant un couvre-feu et une interdiction de circuler après 20 heures pour les français musulmans algériens. Le 17 octobre 1961, quand les algériens, hommes, femmes et adolescents, sont sortis simplement, désarmés dans les rues de Paris à l’appel de la Fédération de France du FLN, ils ont été réprimés avec une violence inouïe.

Marie-Odile Terrenoire écrit dans son livre qu’elle n’a trouvé dans les écrits laissés par son père aucun indice d’une volonté de répression émanant du chef de l’état. Comme le GPRA, Charles de Gaulle était préoccupé de mener les négociations à leur terme, recherchant l’établissement de rapports de confiance avec les nationalistes algériens pour construire une transition la plus pacifique possible vers une indépendance compatible avec de bonnes relations futures de l’Algérie avec la France.

La terrible répression contre des civils du mois de septembre et du mois d’octobre 1961 résulte donc bien d’une tentative du premier ministre de peser indirectement sur l’issue de la guerre en empêchant l’issue voulue par le chef de l’état et l’obliger à envisager la partition du territoire algérien, avec une enclave côtière où seraient regroupés les européens. Louis Terrenoire rapporte comment Charles de Gaulle a écarté cette option, défendue notamment par le secrétaire d’état aux finances, Valéry Giscard d’Estaing, et que le député Alain Peyrefitte a été chargé de porter dans une série de quatre articles publiés dans le Monde jusqu’au 2 octobre 1961, intitulée « pour sortir de l’impasse algérienne ». Cette série a été reprise dans son livre « faut-il partager l’Algérie », financé par Michel Debré et publié peu après chez l’éditeur Plon dans la collection « Tribune Libre ». Le directeur de cabinet du premier ministre, Pierre Racine, a rapporté que celui-ci lui avait remis huit cent mille anciens francs, équivalents à environ treize mille euros, sur les fonds de Matignon en le chargeant de les transmettre à l’éditeur pour financer cet ouvrage.

C’est bien Michel Debré qui, pour tenter d’empêcher une issue rapide des négociations et pour essayer de promouvoir une partition de l’Algérie, a décidé, en s’appuyant sur Roger Frey et Maurice Papon et avec l’assurance d’avoir un ministre de la justice à ses ordres, de déclencher une guerre à outrance contre le FLN et les algériens de France. Si Charles de Gaulle et les hommes politiques qui soutenaient sa politique algérienne, comme Edmond Michelet, Louis Terrenoire, Louis Joxe et d’autres, ont une responsabilité dans ce drame, ce ne peut être que dans le silence qu’ils ont gardé face à un massacre que d’autres, Michel Debré, Roger Frey et Maurice Papon, ont voulu et organisé. Dans ce crime d’état, il faut distinguer entre ses auteurs et ceux qui en ont été, d’une manière ou d’une autre, les complices par leur silence ou leur opposition à le dénoncer avec force. Ce qui vise en premier lieu le chef de l’état et ceux qui soutenaient sa politique algérienne, comme, à un degré moindre, les principales forces de l’opposition de gauche du pays qui, préoccupées avant tout par la fin du conflit, n’ont pas voulu d’une manifestation nationale dénonçant ce massacre. Seuls le Parti Socialiste Unifié (PSU), des mouvements étudiants anticolonialistes et des intellectuels ont manifesté le premier novembre 1961.

Sur le bilan des victimes du 17 octobre 1961 et des semaines qui l’ont entouré, la publication en 2009 par Jean-Luc Einaudi d’une liste de trois cent quatre-vingt-neuf noms de nord-africains, pour la plupart algériens, morts ou disparus au cours de l’automne 1961 dans les départements de la Seine et de la Seine-et-Oise constitue une base de référence importante mais pas une évaluation définitive. Diverses archives peuvent probablement aider à ce décompte. Au mois d’août 1958, sous l’égide du ministre de la justice, Michel Debré, et dans le cadre du Service de Coordination des Affaires Algériennes (SCAA) rattaché au cabinet du préfet de police, Maurice Papon, a été créé un fichier de renseignement, dit fichier Z, sur les immigrés algériens, qui, d’après l’historien de la police Jean-Marc Berlière, a débouché sur cent quatre-vingt mille fiches codées sur des cartes perforées.

Le 17 octobre 1961, quinze mille manifestants ont été arrêtés. Beaucoup d’entre eux ont été recensés au centre de tri du Bois de Vincennes, dont environ mille ont été expulsés en Algérie. Les journalistes étaient interdits d’accès aux centres de détention comme le Palais des Sports de Paris ou le Gymnase Coubertin, mais ils ont été conviés à rendre compte de l’embarquement à l’aéroport du Bourget d’un contingent d’algériens censés revenir dans leur douar d’origine à bord de deux Super-Constellation. En réalité, ils ont été livrés aux autorités militaires françaises en Algérie, qui les ont internés dans des camps militaires au régime sévère et à la mortalité élevée, où les cadres du FLN jugés les plus dangereux ont été voués à un prétendu départ pour le maquis, c’est-à-dire à une exécution sommaire.

Après la première édition de ce livre, deux archives ont attiré l’attention des chercheurs sur ce phénomène. La première est un reportage conservé par l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) Méditerranée qui montre la descente d’un train à la gare Saint-Charles de Marseille, le 26 octobre 1961, de plusieurs centaines d’algériens, souvent blessés, liés les uns aux autres par des menottes et encadrés par des gendarmes, montant ensuite à bord des paquebots Ville de Bordeaux et Ville d’Oran à destination d’Alger. L’autre est une lettre datée du 23 octobre 1961 émanant d’algériens détenus dans un camp sous la garde de l’armée, dont nous ignorons comment elle a échappé à la censure et qui a été finalement conservée dans les archives de Marcel Péju. Elle avait été envoyée à l’avocat Yves Mathieu, connu pour être favorable à l’indépendance algérienne. Ses auteurs se trouvaient dans le Centre de Tri et de Transit (CTT) de Fedj Mzala, près de Constantine, où ils étaient à la merci de toutes sortes d’abus et où ils cherchaient à alerter sur leur sort, « après notre transfert en Algérie, datant du 19 octobre 1961, les conditions de notre détention sont aussi inhumaines qu’insupportables. Notre effectif général se chiffre à huit cent quatre-vingts détenus. Quant au régime alimentaire, nous pouvons vous certifier qu’il est dix fois inférieur à celui des centres d’assignation en France ». C’est seulement en tentant de reconstituer ce qu’ont subi ces hommes que nous parviendrons à approcher le bilan des victimes de cette répression.

Enfin, au-delà des trois facteurs d’oubli abordés dans « la triple occultation d’un massacre », les témoignages d’enfants nés de parents algériens présents en France durant la guerre d’Algérie et qui ont grandi dans ce pays conduisent à nous interroger sur l’existence d’un quatrième facteur d’occultation, le peu de transmission de la part de leurs parents de leur engagement lors de cette guerre et des affrontements qu’ils ont vécus avec la police française. Le livre de Nadia Henni-Moulaï, « un rêve, deux rives, une famille française », paru en 2021, en porte témoignage.

L’autrice, née dans les années 1970, y évoque son père, venu en France en 1948, qui a fait partie à la fin des années 1950 non seulement de la Fédération de France du FLN, mais aussi des équipes de choquistes chargés de commettre des exécutions et autres attentats. Continuant à vivre en France après l’indépendance jusqu’à la fin des années 1980, il n’a pratiquement pas transmis aux plus jeunes de ses enfants ce qu’il a vécu et ce qu’il a accompli comme militant indépendantiste. Arrêté au mois d’octobre 1960 avec sa compagne française, porteuse de valise pour le FLN, et condamné à trois ans de prison, il a rejoint l’Allemagne grâce aux filières de la Fédération de France du FLN et il n’est revenu vivre à Paris qu’après l’amnistie consécutive aux accords d’Évian.

À ses plus jeunes enfants, il n’a pas parlé de cet épisode de sa vie, les élevant dans le respect des lois et de la discipline de l’école française, peut-être dans le souci de ne leur transmettre aucune haine ou animosité vis-à-vis du pays où ils grandissaient, peut-être par admiration des français qui, comme sa compagne, avaient partagé leur combat. Ce n’est qu’après sa mort que Nadia Henni-Moulaï, devenue journaliste et écrivaine, s’est efforcée à partir des dossiers conservés dans les archives policières de reconstituer son engagement militant.

Ce cas n’est pas une exception. Si certains parents algériens ont raconté leur combat à leurs enfants, d’autres ne leur en ont jamais parlé. Ce n’est que lorsque l’histoire du 17 octobre 1961, à la fin des années 1980 et dans les années 1990, a émergé au sein de la société française que certains ont commencé à le faire. D’autres restant murés dans le silence. Nous savons que Djoudi Bédar et Louisa Bédar, les jeunes frères et sœurs d’une collégienne de Saint-Denis, Fatima Bédar, partie manifester le 17 octobre 1961 et dont le corps a été retrouvé dans le canal Saint-Denis, ont entendu de leurs parents des explications inexactes de la mort de leur sœur et une de ses cousines conserve le souvenir d’un silence encore plus pesant et durable de la part de ses propres parents. La mémoire de cet événement a souvent eu du mal à se transmettre dans les familles qu’il avait pourtant directement concernées.

Pour approcher de la vérité sur cette page tragique de notre histoire contemporaine qu’est le massacre du 17 octobre 1961, d’autres sujets de recherches sont donc apparus depuis 2011. La liberté d’accès aux archives est essentielle pour en apprendre davantage. Fabrice Riceputi a écrit « la bataille d’Einaudi » en 2015. Son livre a fait opportunément l’objet en 2021 d’une nouvelle édition avec d’importants compléments. Il dit que « la bataille d’Einaudi doit continuer ».

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