GUERRE DES CIVILISATIONS
Par Bernard Fischer
Jeudi 23 Septembre 2021
En 1992, il y aura bientôt trente ans, je participais à la fondation d’une coordination pour la levée de l’embargo contre l’Irak.
Trois ans après la chute du mur de Berlin et un an après la dissolution de l’union soviétique, la conscience avait beaucoup de retard par rapport à l’existence, il y avait encore beaucoup trop de staliniens et de trotskystes dans cette association et leur coexistence provoquait rapidement la scission de l’association. Mais la question des relations entre les staliniens, les anciens staliniens, les trotskystes et les anciens trotskystes à l’intérieur de cette association était une question totalement secondaire.
L’immense majorité des militants et des organisations subissaient le choc des événements historiques de la fin des années 1980 et du début des années 1990. C’était en même temps la décennie noire de la guerre civile algérienne, une sorte de préfiguration de la révolution arabe de 2011, et nous soutenions en 1995 les négociations et les accords de Sant Egidio, cette diabolique association diplomatique du Vatican, entre le Front de Libération Nationale (FLN) et le Front Islamique de Salut (FIS).
Pour la moitié des militants et des organisations, nous étions des affreux méchants agents de Saddam Hussein et, pour l’autre moitié, nous étions déjà des islamo gauchistes, même si le mot n’existait pas encore.
Des événements historiques changeaient la face du monde. L’échec de l’intervention militaire soviétique en Afghanistan en 1989 précipitait la dissolution de l’union soviétique en 1991. Le mur de Berlin tombait en 1989. En 1991, c’était la première guerre du golfe des Etats Unis contre l’Irak. En 1992, c’était le début de la guerre de Bosnie. En 1993, c’était le premier attentat contre la tour nord du World Trade Center (WTC) à New York dont le principal organisateur était déjà Khaled Cheikh Mohammed. En 1996, Samuel Huntington écrivait le « choc des civilisations ».
En 1997, les néo conservateurs américains écrivaient le projet pour un nouveau siècle américain. Ils avaient deux objectifs très clairs. C’était premièrement une guerre d’occupation coloniale de l’Afghanistan sous prétexte des relations entre Oussama Ben Laden et les talibans. C’était deuxièmement une deuxième guerre du golfe des Etats Unis contre l’Irak pour le renversement du régime de Saddam Hussein, sous prétexte de la possession par celui-ci d’armes de destruction massive, malgré les preuves négatives de dizaines d’inspections d’experts internationaux.
Pour cela, il fallait un acte fondateur du nouveau siècle pas forcément américain. C’étaient les attentats du 11 septembre 2001 à New York et à Washington. Ces attentats et leurs trois mille morts étaient en soi une première catastrophe. La faillite totale des services américains de renseignement dans la prévention de ces attentats était une deuxième catastrophe. La fabrication de la version officielle des attentats du 11 septembre 2001 était une troisième catastrophe. La défaite du mouvement de contestation de la version officielle des attentats était une quatrième catastrophe.
Les attentats du 11 septembre 2001 provoquaient une formidable accélération de l’histoire. La guerre américaine de renversement du régime des talibans en Afghanistan durait deux mois. La deuxième guerre du golfe était un peu plus longue. L’impérialisme américain avait absolument besoin d’un débat et d’un vote du conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU). La guerre américaine pour le renversement du régime de Saddam Hussein en Irak provoquait de très importantes manifestations contre la guerre dans le monde entier, même si l’impérialisme américain ignorait superbement ces manifestations et même si les manifestations françaises étaient d’abord et avant tout des manifestations de soutien à la position du président français Jacques Chirac.
Nous connaissons la suite et la fin provisoire de ces aventures. Elles dépassaient nos pires cauchemars.
C’était en Afghanistan au mois d’août 2021 la constitution d’un nouveau gouvernement des talibans après le retrait de l’armée américaine. C’était la fondation d’un nouvel Etat Islamique en Syrie et en Irak encore plus obscurantiste et réactionnaire. C’était la victoire sans combat de l’Etat Islamique à Rakka en Syrie en 2013 et à Mossoul en Irak en 2014. C’était les attentats de Paris en 2015 et il fallait une nouvelle intervention militaire américaine pour la destruction de l’Etat Islamique en Syrie et en Irak en 2017.
Le bilan de ces vingt ans de guerre, c’est un million de migrants syriens en Europe Occidentale, principalement en Allemagne, et la fermeture des frontières extérieures et intérieures de l’Union Européenne, longtemps avant la pandémie mondiale du coronavirus. C’est la double occupation russe et iranienne de la Syrie. C’est la double occupation américaine et iranienne de l’Irak. C’est le deuxième gouvernement des talibans en Afghanistan, un pays actuellement sans armée et sans police.
L’Afghanistan est depuis quarante ans un pays de gouvernements réactionnaires, d’occupation militaire coloniale russe pendant dix ans, d’occupation militaire coloniale américaine pendant vingt ans et d’émigration massive. Il le sera encore pendant de nombreuses années.